Parlons énergie : les nouvelles sources de chaleur fatale
Lorsqu’on parle de « chaleur fatale », on pense souvent à « réutilisation de chaleur issue de la valorisation des déchets » par exemple.
Mais il en existe bien d’autres, comme la récupération de chaleur sur les eaux usées, ou encore celle des data centers.
Et ce sont toutes ces nouvelles ressources qui sont abordées dans cet épisode.
Aurélie Beauvais
Directrice générale d’Euroheat & Power
Guillaume Texier
Directeur des opérations chez Manergy
La chaleur fatale, une ressource insoupçonnée
Alice
Selon l’ADEME, le gisement de chaleur fatale facilement valorisable permettrait de chauffer 1 000 000 de logements, mais moins de 5 % est exploité aujourd’hui.
Ok mais la chaleur fatale, concrètement, c’est quoi ?
C’est la chaleur produite pour autre chose qui pourrait être utilisée pour chauffer des habitations.
Si je vous dis ça, vous pensez déjà à la réutilisation de chaleur issue de la valorisation des déchets ou des process industriels ? Mais il en existe bien d’autres aujourd’hui, comme la récupération de chaleur sur les eaux usées ou encore celle des datacenters. Et c’est toutes ces autres ressources que nous allons aborder aujourd’hui.
Qu’entendons nous par nouvelles sources de chaleur fatale ?
AB – Les nouvelles sources de chaleur fatale, ça va être par exemple la récupération de chaleurs qui sont produites par les bâtiments tertiaires ou commerciaux. En général, n’importe quel bâtiment qui va avoir des besoins en froid important, donc des bâtiments qui vont effectuer du stockage de denrées alimentaires ou autre, et aussi des infrastructures des bâtiments publics, dédiés à la gestion/la récupération des eaux usées, mais aussi les hôpitaux, les métros. Plus l’innovation avance, plus on étend le scope des bâtiments qui peuvent être concernés.
AV – Est-ce qu’il y a des sources qui n’étaient pas exploitées auparavant et qui sont exploitées aujourd’hui ?
GT – Oui, de plus en plus, en particulier des sources très basse température. Avant on récupérait de la chaleur qui était à 50-60°. Maintenant on est capable de récupérer de la chaleur autour de 10-20° et on va remonter cette température pour pouvoir alimenter les bâtiments.
Comment on utilise les sources de chaleur basse température ? A-t-on des exemples ?
GT – Ce sont des sources de chaleur qui sont à très basse température, donc il faut utiliser des pompes à chaleur. Le but de la pompe à chaleur, ça va être de prendre un peu la chaleur de ces basses températures et de la remonter avec de l’électricité, on va remonter la chaleur jusqu’à une température qui est utilisable en direct.
AV – Est-ce que vous avez des exemples ?
AB – Ce qui est super, c’est qu’il y en a de plus en plus. J’ai 2 exemples. C’est un projet très récent qui a été fait à Tallaght en Irlande. Et ce qui est intéressant, c’est que l’Irlande n’a quasiment pas de réseau de chaleur et donc finalement, leur premier gros projet, c’est très innovant et qui a, en tout cas au niveau européen, gagné beaucoup en visibilité. Ils ont connecté un data center Amazon qui avait une capacité de chaleur fatale d’environ 3600 kW. Ils ont récupéré cette chaleur pour chauffer aujourd’hui à peu près 32 000 m² de bâtiments publics et 133 appartements, avec des projets d’extension à horizon 2024. Je serai heureuse après aussi de discuter du modèle de financement parce que c’est aussi intéressant.
Et un autre projet que j’aime énormément, c’est l’hôpital d’Ochoa en Espagne, où là aussi, ils ont mis en place un système à l’intérieur du bâtiment – donc même pas forcément connecté à un réseau de chaleur d’ailleurs – où on a simplement un système de récupération de chaleur à l’intérieur du bâtiment pour ensuite optimiser, réduire la consommation d’énergie primaire. Et il y a des synergies très très intéressantes entre la récupération de chaleur et la fourniture de froid et on ne parle pas assez de pompes à chaleur qui permettent de servir ce double usage, de récupérer la chaleur et de produire du froid en même temps. Il y a des économies en énergie primaire qui sont quand même assez significatives, de l’ordre de 1 000 MWh par an et à peu près 350 tonnes équivalent CO₂ économisées par an.
Quels sont les enjeux de la mise en place de ce type d’infrastructure ?
GT – Le principal enjeu, il est écologique ! L’idée, c’est qu’on va récupérer de la chaleur qui, si elle n’est pas utilisée, elle est envoyée aux petits oiseaux ! Donc…
AV – … pour réchauffer la planète aussi !
GT – Exactement. L’exemple que donnait Aurélie tout à l’heure, c’est les réseaux de chaud et de froid qui vont fonctionner en même temps. Par exemple, à la Défense, il y a une pompe à chaleur qui produit et du froid pour refroidir les tours de la Défense, et du chaud pour les besoins de chauffage qui sont en parallèle.
AV – Cela peut être installé partout ?
AB – Plus ou moins partout, puisqu’on est vraiment sur la question des nouvelles sources de chaleur fatale, c’est ce que disait Guillaume , n’importe quel bâtiment qui a des besoins en froid va générer de la chaleur fatale. C’est toujours très chaud derrière un frigo, donc produire du froid, ça produit du chaud. Et donc, de la même manière, on va récupérer la chaleur fatale mais comme souvent, avec la chaleur, on est quand même sur de l’échange thermique donc dans le processus de récupération de chaleur, on va être aussi capable de générer du froid et donc en général, on sert un double usage et on réduit encore plus la consommation d’énergie.
On économise encore plus d’énergie et on améliore encore plus la performance des bâtiments parce qu’on va augmenter l’efficacité en faisant quelque chose de cette chaleur qui, autrement, aurait été juste une perte sèche. Et en plus de ça, on va recycler cette chaleur pour couvrir une partie ou la totalité des besoins de froid.
Quid du stockage de cette chaleur ?
GT – C’est possible de stocker la chaleur mais on sait assez mal la stocker dans le temps par contre. On peut la stocker sur des courtes périodes mais pas sur des périodes très longues en inter saisonnier, même si ça commence à se développer, en particulier dans les pays du nord de l’Europe. Mais on stocke de la chaleur à un peu plus haute température, on va stocker de la chaleur à la température utilisable directement. Après, on peut très bien imaginer une station d’épuration, c’est un stockage de nouvelles chaleurs fatales basse température. On a de l’eau qui est à 15-20° en fonction de la période de l’année, qu’on peut utiliser, on va baisser un peu sa température pour pouvoir chauffer autre chose.
Comment on monte un projet, et comment on le finance ?
GT – Il y a un porteur de projet qui voit une opportunité, qui peut être soit une collectivité, soit un maître d’ouvrage, soit même le producteur lui-même de chaleur fatale qui peut se dire « je vais essayer d’en faire quelque chose ». A partir du moment où on sait qu’il y a une opportunité de récupérer de la chaleur fatale, on va lancer une étude de faisabilité, qui va regarder d’un côté les besoins – quels sont les besoins qui existent sur site, à proximité ou à grande échelle ? Quels sont les besoins qui pourraient être alimentés ? – Et puis après, on va mettre en face de ces besoins la source de chaleur fatale. Comment est-ce que ça peut matcher l’un avec l’autre ? Et on va faire une étude technique – comment techniquement on va mettre ce projet en place – et économique – comment est-ce que ce projet va être rentable sur un long temps, mais dès le premier jour pour les abonnés ? Et après, on décide comment on va le mettre en œuvre, qui va porter le projet, quelle entreprise va le réaliser, quelle société de réseau de chaleur va réaliser ce projet, comment est-ce qu’on va contractualiser avec la source de chaleur fatale, sur quelle durée, à quel prix, dans quelles conditions techniques ? On met tout ça en œuvre, et après, une fois qu’on a mis tout ça en œuvre, on va avoir le déploiement de la solution technique des travaux, puis l’exploitation.
AV – Et qui finance ?
AB – En fait, ça c’est la grande question, en tout cas la question qu’on se pose aussi au niveau européen pour essayer d’encourager ces business model, parce que de notre perspective, il y a parfois une faille de marché simplement. A qui ça profite ? Un peu à tout le monde et c’est là le problème, c’est à dire que le propriétaire du bâtiment, le propriétaire du data center, aujourd’hui, il ne va pas forcément avoir d’intérêt économique clair pour faire en sorte qu’on récupère sa chaleur.
L’opérateur de réseau de chaleur, lui, forcément, il va avoir intérêt à récupérer cette chaleur, mais il va avoir d’autres enjeux qui vont être la pérennité de ces sources de chaleur. Est-ce que je suis sûr qu’elle sera là dans 25 ans ? L’infrastructure, elle est assez chère aussi, c’est une infrastructure qui peut avoir une certaine taille, c’est assez intense en capital au début même si les coûts d’opération sont beaucoup plus bas. Mais qui va prendre en charge ce premier coût d’investissement ?
Et aussi, pour revenir sur la question de la pérennité des sources de chaleur, on va souvent avoir besoin de mettre en place une capacité de backup au cas où l’industrie ou le bâtiment en question doit être arrêté pour maintenance etc. et il faut quand même s’assurer que cette source de chaleur peut être compensée par autre chose. Donc, il y a plusieurs éléments qui doivent être financés. Il y a plusieurs parties responsables. En Europe, on dit souvent les Split incentives – quand les incitations sont trop distribuées en fait – et donc les modèles de financement, ça va être des modèles de contrats, donc souvent des participations publiques privées, et de l’innovation contractuelle en fait notamment.
AV – In fine, c’est amortissable sur combien de temps, puisque c’est un certain investissement au début ?
GT – On est sur des projets qui, pour être rentables, ont besoin d’être sur un temps long. Ce sont des projets de services publics qui sont très capitalistiques et on est en général autour de 20, 25 ans. Donc ce sont des projets qui s’amortissent sur très longtemps. Mais pour un habitant, l’objectif c’est que ce soit compétitif par rapport au gaz dès le premier jour de l’installation.
AB – Oui, tout à fait, c’est vrai. Il y a différents aspects compétitifs pour le consommateur. Si on va sur l’hôpital, quand on quantifie les économies d’énergie primaire qui sont issues de ce projet, la rentabilité du projet est estimée à 1,87 années, donc moins de 2 ans, pour un investissement qui est de 430 000€ à peu près, donc c’est un investissement qui est conséquent, c’est vrai, mais en 2 ans, on a déjà retrouvé ses œufs dans le panier et c’est un hôpital, une infrastructure publique donc on a des enjeux de pérennité de l’approvisionnement énergétique qui sont de d’ordre de santé publique, donc il y a de vrais intérêts.
Et même sur le système de Tallaght, le data center, c’est vrai que, parfois, on va avoir des retours qui vont être de plus de 30 ans sur le système lui-même. Mais là, on a une innovation sur le modèle, c’est à dire qu’il y a une ESCO, donc une entreprise de service énergétique, qui prend en charge l’investissement, qui prend en charge le risque et qui est rémunérée sur 30 ans via la vente de la chaleur. Dans le bâtiment qui va être alimenté par ça, il y a une société de réseaux de chaleur qui elle, achète son énergie à l’ESCO à un tarif fixe et forcément compétitif. Et donc, comme disait Guillaume, depuis le premier jour, les bâtiments qui en bénéficient ont une énergie qui est moins chère que le gaz et en plus, qui est 100 % décarbonée.
GT – Et il faut savoir, dans les financements dont tu parlais tout à l’heure, qu’il y a aussi des aides données par le gouvernement et en particulier en France, c’est l’ADEME qui gère ces aides via le Fonds chaleur, ce qui permet justement le développement de ce type de projet qui apporte une aide à l’investissement pour pouvoir développer ce type d’installation et pouvoir améliorer leur rentabilité économique par rapport à d’autres énergies qui peuvent parfois être… pas chères, même si ces derniers mois nous ont prouvé le contraire.
Est-ce qu’il y a des réglementations autour de cette chaleur ?
AB – Pas encore, ou ça commence. On prend beaucoup la France en exemple, notamment pour ce qui est des politiques de financement, le fonds chaleur notamment. C’est quelque chose au niveau européen dont on parle beaucoup. On salue l’excellent travail de l’ADEME pour avoir contribué à mettre en place ce cadre. Au niveau européen, on a une nouvelle directive renouvelable aujourd’hui. Il y a quand même eu un changement de paradigme avec une vraie reconnaissance du rôle de la chaleur fatale pour atteindre les objectifs climat, et notamment la décarbonation de la chaleur ; puisqu’on parlait tout à l’heure des objectifs environnementaux, ce n’est pas qu’au niveau du bâtiment quand on parle du data Center en Irlande et de 133 appartements, ce sont 133 appartements qui ne seront pas chauffés au gaz. Donc on a des gains qui peuvent être vraiment démultipliés.
Et donc aujourd’hui, la chaleur fatale, elle est sur un pied d’égalité avec la chaleur renouvelable, s’agissant des objectifs européens pour la décarbonation du chauffage et du refroidissement, et aussi des réseaux de chaleur urbains.
Par ailleurs, on a l’obligation aujourd’hui pour tous les États membres de l’Europe de dérisquer ces projets, donc de mettre en place des cadres du type de ceux qui sont mis en place en France pour faciliter le financement et la mise en relation de ses acteurs.
Et en plus, on commence à avoir des exigences – alors c’est timide mais c’est quand même assez franc – notamment pour les data centers. Donc les data centers qui ont une puissance énergétique nominale au-delà d’un mégawatt aujourd’hui, ont l’obligation selon la directive efficacité énergétique, de mettre en place des infrastructures de récupération de la chaleur. Et on a aussi des obligations pour les installations industrielles au-delà de 8 mégawatts en puissance nominale, et au-delà de 7 mégawatts pour des installations comme le traitement des eaux usées, de faire une étude d’analyse sur comment éventuellement on pourrait récupérer cette chaleur fatale donc ça commence à bouger.
Concernant ces nouvelles sources de chaleur, y-a-t il des limites ?
GT – Il y a des limites qui sont principalement technologiques. On sait maintenant partir de température autour de 10/15/20° pour la remonter à 60° avec de relativement bons rendements. Après, s’il faut monter à 80/90°, on commence à avoir des rendements qui diminuent. Alors, le secteur continue d’évoluer, on va avoir des technologies qui vont être de mieux en mieux, de plus en plus efficaces, mais pour l’instant, on ne sait pas remonter très haut et pas encore suffisamment, donc on ne sait pas alimenter par exemple des vieux bâtiments qui ont besoin de chaleur haute température. On sait le faire mais avec des rendements qui ne sont pas très bons et donc du coup, une chaleur fatale qui est assez mal utilisée.
AV – Donc tout le monde ne peut pas bénéficier de ces nouvelles sources de chaleur ?
AB – En fait si, techniquement tout le monde peut ! Mais ce que disait Guillaume, c’est très important parce que c’est un message qu’on essaie de porter de manière très forte quand il s’agit de la rénovation des bâtiments et, en général, de la conception d’efficacité énergétique : récupérer de la chaleur fatale, c’est de l’efficacité énergétique parce qu’avec le même input de chaleur, on va à la fois couvrir nos besoins et puis, éventuellement, couvrir des besoins qui sont en dehors de nous, en dehors du bâtiment. Ça c’est une première chose.
Mais après, quand on va par exemple décarboner un quartier, il faut avoir une vision holistique et se dire que si on a une source de chaleur fatale qui est identifiée (un traitement des eaux usées, un data center qui n’est pas très loin, etc.), il faut mettre en place un programme de rénovation du quartier concerné, qui pourrait être alimenté par ce réseau de chaleur fatale.
GT – Plus les besoins en température seront bas, meilleurs seront les rendements. Et donc c’est pour ça que ces nouveaux types de chaleur fatale, on a tendance à les réserver pour soit les gros projets de rénovation, soit les projets de construction de ZAC sur lesquels on va pouvoir dimensionner les installations de chauffage des bâtiments pour être en accord et avoir le meilleur rendement sur l’installation de chaleur !
On continue à explorer de nouvelles sources de chaleur fatale ? Ou vous pensez qu’on a fait le tour ?
GT – Il y a de nouvelles sources qui vont commencer à être utilisées. On commence à développer des installations de récupération, de production de chaleur et de froid, à partir d’eau de mer. Il y a une réalisation qui a été faite à Marseille, où un réseau de chaud et un réseau de froid sont refroidis et réchauffés par l’eau de mer.
AB – Il y en a une aussi que je trouve assez excitante en termes de nouvelle récupération de chaleur fatale, c’est l’hydrogène et c’est quelque chose qui n’est pas très connu en fait. Mais c’est vrai que bon, avec à peu près 100 unités d’électricité, on produit de l’hydrogène à partir d’électrolyse – c’est très très tendance en ce moment la production d’hydrogène à partir d’électricité – et donc on va avoir en général une perte de conversion entre l’électricité et l’hydrogène. Et cette perte de conversion, c’est la chaleur fatale.
Du coup, pour à peu près 100 unités d’électricité, on va récupérer peut-être 80/70 unités d’hydrogène, et 20/30 unités de chaleur fatale.
Et donc, on a des projets aujourd’hui – des projets pilotes, notamment au Nord de l’Europe mais pas seulement – où on combine la production d’hydrogène avec la construction de nouveaux réseaux de chaleur urbains, pour alimenter les maisons, les appartements alentours.
Si on faisait une prédiction, vous pensez que ces nouvelles sources de chaleur fatale représenteraient combien de pourcentage du mix énergétique ?
GT – Il faut savoir qu’il y a une étude qui a été faite il y a quelques temps par l’ADEME et par notre bureau d’étude qui montrait que la récupération sur les eaux usées en Ile de France, ça permettrait de chauffer 200 000 logements ! Juste en Ile de France. Pour donner un petit ordre de grandeur, si on cumule avec tout ça les data centers qui sont en développement continu et constant en Ile de France, par exemple, la chaleur des eaux usées, etc, on pourrait couvrir une très grande part de nos besoins en énergie.
AB – Oui, et d’ailleurs il y a un projet européen qui s’appelle ReUseHeat, donc j’invite tous les auditeurs à le consulter parce que c’est un projet qui concerne essentiellement ces nouvelles sources de chaleur fatale urbaines : data Center.
La récupération des eaux usées, c’est 42% du potentiel total européen, c’est énorme et c’est très beau parce qu’il y en a partout de la récupération et du traitement des eaux usées, dans chaque ville. Avec les volumes et, seulement sur les nouvelles sources de de chaleur, on pourrait satisfaire plus de 10% de la demande totale de chaleur des bâtiments en Europe !
AV – Et donc pourquoi on ne le fait pas maintenant ? C’est à cause du manque de financement, c’est ça ? D’infrastructures ? de la mise en place de tout ça ?
GT – Il y a un premier frein, c’est les besoins qu’on va avoir en face, ce que j’expliquais tout à l’heure. Quand on a des besoins à 80/90°, on n’a pas encore la technologie pour le faire avec un assez bon rendement. Et ensuite, il y a un frein économique aussi. Pendant des années, le prix du gaz a été très bas et donc, trouver des équilibres économiques qui permettaient d’être concurrentiels par rapport à cette source de chaleur – fossile, malheureusement – était très compliqué.
AB – En fait, je pense que la clé, c’est vraiment de mettre ça en en relief quand on voit l’étendue, du challenge, s’agissant de la décarbonation de la chaleur. On est sur la moitié de la demande énergétique européenne, avec plus de 70% aujourd’hui qui est alimenté par des énergies fossiles. C’est énorme ! Et ça veut dire qu’on va avoir besoin de tout, et notamment sur la chaleur fatale ; c’est très parlant parce que c’est d’une part quelque chose qui est gâché aujourd’hui, d’autre part c’est quelque chose qui ne peut être utilisé pour rien d’autre.
Donc, il y a vraiment une synergie organique sur le fait de combiner à la fois l’optimisation de la performance énergétique de ces bâtiments, et la rénovation des bâtiments alentours. Et en fait, rien qu’en faisant ça, en plus, on va libérer de l’espace donc on va réduire la demande en électricité sur la décarbonation de ces bâtiments là, et on va libérer le besoin pour d’autres bâtiments qui eux, par contre, ne pourront pas être décarbonés d’une autre manière que via, par exemple, l’installation d’une pompe à chaleur individuelle.
La France est un peu un « lab d’innovations » au niveau européen ? Est-ce qu’on est en avance ?
AB – Sur le sur le cadre règlementaire, clairement.
AV – Ok, et sur l’identification des nouvelles sources ? Pas forcément ?
AB – Je pense que ça se fait, mais la France, pour ça, va être confrontée au même problème que tous les autres pays. C’est vrai que l’on a une rénovation des bâtiments qui est trop lente, on a des signaux en termes de compétitivité des usages énergétiques qui, jusqu’à peu, n’étaient pas très clairs, et qui, aujourd’hui, ne le sont toujours pas, parce que le prix du gaz a recommencé à redescendre.
Donc la France n’est pas moins bonne, mais, par contre, elle a un meilleur cadre réglementaire aujourd’hui et donc nous, on a beaucoup d’espoir pour la croissance de ces sources là.
Je pense qu’il y a un problème aussi de prise de conscience, d’informations simplement, et je parlais tout à l’heure de la possibilité pour les entreprises de valoriser ça.
On a vu que, par exemple, s’agissant des contrats d’approvisionnement en électricité renouvelable, avec la question des garanties d’origine ou simplement des contrats d’achat direct, les entreprises aujourd’hui peuvent concrètement le valoriser dans leur corporate sustainability reporting, donc dans leur exercice annuel, pour montrer qu’ils remplissent bien les objectifs globaux de développement durable.
La récupération de la chaleur fatale aujourd’hui, ce n’est pas valorisé ! On n’est pas pénalisé en tant qu’industrie ou en tant que bâtiment. Donc, ceux qui le font aujourd’hui, c’est ceux qui veulent montrer, de manière volontaire et proactive, qu’ils veulent aller au-delà, et être particulièrement performants.
Et alors, est-ce que mon immeuble peut bénéficier de ces nouvelles sources de chaleur fatale ?
GT – C’est tout à fait possible. Dans un projet de rénovation par exemple, il va être possible de récupérer la chaleur fatale des eaux usées d’immeubles pour commencer à préchauffer l’eau qui va servir à l’eau chaude sanitaire ou au chauffage du bâtiment.
Donc, même à l’échelle d’UN immeuble, c’est faisable dans une certaine mesure. Il y a dans les projets de rénovation de plus en plus de récupération de chaleur fatale sur les eaux usées.
AV – Merci à tous les 2. C’était vraiment très très clair. Et puis, on espère voir davantage de nouvelles sources de chaleur exploitées, puisque les solutions sont là finalement !